Nature du matériel génétique
Travaux de Griffith
Le point de départ est une bactérie pathogène, un pneumocoque, agent de la pneumonie chez l'homme (et, au laboratoire, létal pour la souris). Cet exemple rappelle que ce sont les pathologistes qui ont amené les généticiens à étudier les procaryotes et les virus. La virulence de bactéries représente déjà un caractère phénotypique, un autre est apporté par l'aspect des colonies qui se développent à la surface d'un milieu nutritif gélosé : un mucopolysaccharide secrété par les bactéries donne un aspect huileux aux colonies, ce phénotype est baptisé "S" (comme Smouth = lisse).
Lors de repiquages et d'étalement successifs, on voit parfois apparaître des colonies présentant un phénotype différent : rugeux, désigné par "R" (comme rough) par opposition à lisse.
Inoculées à une souris, les bactéries de type R s'avèrent non virulentes. Deux caractères phénotypiques, virulence/avirulence et aspect des colonies, permettent donc de caractériser les deux souches de pneumocoques.
Remarque :
L'apparition, rare et spontanée, de variants dans une population bactérienne est le résultat d'une mutation. A l'origine, une seule bactérie est modifiée mais cette modification étant héréditaire, la colonie que l'on observe représente en fait la descendance de la bactérie mutée.
Remarque :
Selon des mécanismes qui seront détaillés plus tard, l'accident mutationnel peut, dans certains cas, se produire "dans l'autre sens" . Dans une population R peut spontanément réapparaître un individu S. Cette modification est elle aussi héréditaire, puisque ce que l'on observe c'est une colonie S, c'est-à-dire une descendance.
Une des caractéristiques de ce phénomène de réversion est qu'il se produit avec la même fréquence que la mutation : c'est un événement très rare.
Cette notion de réversion, simplement effleurée ici, s'avérera très importante.
Vers 1928, Griffith réalise une expérience fondamentale :
Première étape : il inocule à une souris, des bactéries S (de phénotype virulent) tuées par la chaleur, les souris ne présentent aucun trouble.
Deuxième étape : il inocule des bactéries S tuées par la chaleur après les avoir mélangées à des bactéries R (phénotype non virulent), des souris meurent de pneumonie.
Le prélèvement de bactéries à partir de souris mortes et leur mise en culture révèle un phénotype S (et virulent) pour toute la descendance.
Explication :
Les bactéries vivantes étaient de type R, non virulent. Griffith, suppose qu'elles ont été "transformées" par un élément provenant des bactéries tuées par la chaleur. La fréquence de la transformation et des arguments d'ordre immunologique excluent un phénomène de réversion.
A l'époque, Griffith ne peut que conclure à l'existence d'un facteur transformant or il s'agit bien d'une transformation génétique au sens actuel du terme.
Travaux de Avery, Mc Leod et Mc Carthy
En 1944, Avery, Mc Leod, Mc Carthy reprennent les travaux de Griffith avec des tests un peu plus sophistiqués. La stratégie consiste à ajouter à des bactéries R, non plus des S tuées par la chaleur mais des extraits relativement purifiés de celles-ci. Les auteurs de ce travail se tournent d'abord vers les polysaccharides de la paroi, sans aucun résultat puis vers les protéines sans plus de succès, ils n'obtiennent quelques cas de transformation qu'avec des préparations d'acides nucléiques et particulièrement d'ADN.
Autrement dit, une bactérie peut acquérir de nouveaux caractères phénotypiques, de nouvelles fonctions métaboliques (sécrétion de polysaccharides, virulence) par l'intermédiaire d'ADN provenant d'une autre bactérie.
L'importance extraordinaire de ces travaux n'a pas été reconnue pendant longtemps pour plusieurs raisons :
la structure chimique de l'ADN bien qu'alors connue de façon très incomplète, semblait trop simple pour pouvoir contenir une information aussi complexe que l'information génétique. Les protéines étaient de bien meilleures candidates.
la génétique microbienne était à ses début et l'on n'était pas certain que le passage d'un type S à un type R soit le fait de mutations, ni que l'hérédité chez les bactéries était comparable à celle alors connue chez les organismes supérieurs.
Travaux de Hershey et Chase
C'est cependant l'étude d'un bactériophage qui a convaincu le monde scientifique que la molécule d'ADN était le support de l'information transmise de générations en générations.
En 1952, Hershey et Chase étudient la reproduction du bactériophage T2 dans la bactérie
Escherichia coli (qui deviendra l'un des monstres sacrés de la génétique moderne) et emploient une technique qui va se développer rapidement : l'utilisation d'isotopes radioactifs comme traceurs, comme marqueurs permettant de suivre la destinée de macromolécules. Dans un premier temps, ils cultivent les bactéries (E. coli) sur un milieu contenant du phosphore 32 (\(^{32}P\)) et du soufre 35 (\(^{35}S\)), après un certain temps de culture, les constituants des bactéries contiennent ces marqueurs. Si on infecte des E. coli avec une suspension de phages T2, ceux-ci vont réaliser un cycle lytique en utilisant les molécules radioactives de leurs cellules hôtes.
La descendance phagique est recueillie et sert à infecter des bactéries normales. On sait que, dans la première étape de l'infection, les phages s'adsorbent sur la bactérie et injectent à l'intérieur une molécule informative. Après cette étape d'adsorption, les auteurs agitent violemment la suspension pour décrocher ce qui reste à l'extérieur des bactéries. Après centrifugation de la suspension, on obtient un culot bactérien contenant l'information phagique et un surnageant contenant la capside. Or, le culot contient le \(^{32}P\) et le surnageant le \(^{35}S\) : c'est la démonstration éclatante que l'information génétique du bactériophage, qui pénètre à l'intérieur de la bactérie est de l'ADN et que la capside protéique ne sert ... que d'emballage.