Les différents types de coupures

Nous venons de voir que deux types d'ions étaient rencontrés dans un spectre de masse :

  • Les ions tels que l'ion parent ou \(\textrm M^{+\bullet}\), ayant un nombre impair d'électron (OE) et le statut de cation radicalaire (de masse paire en l'absence d'azote pour la combinaison isotopique légère). L'étude de la fragmentation de ces ions comprend donc les fragments initiaux de la molécule ionisée (première descendance), on y trouve de nombreux cations mais aussi à nouveau des cations radicalaires suite à des réarrangements.

  • Les cations (nombre pair d'électrons EE) donnent presque uniquement des cations, rarement des ions radicalaires (réaction endothermique).

Fragmentation des cations radicalaires

Les coupures sigma \(\sigma\)

Ce sont les plus simples à envisager !

Nous avons signalé que de nombreuses fragmentations étaient envisageables à partir de la localisation de la charge sur une double liaison ou un hétéroatome. Voyons avant cette approche ce qu'il en est pour des composés saturés de type alcanes pour lesquels ces deux approches sont inexistantes.

C'est la coupure sigma \(\sigma\). Soit \(\textrm{R-R}'\) la molécule étudiée. Après ionisation, on a l'ion moléculaire sous la forme globale \([\textrm{R-R}^{\prime}]^{+\bullet}\) qui peut être détecté sous cette forme, vu le temps très court séparant la détection et alimenter le pic moléculaire, mais qui va aussi évoluer vers une fragmentation. Si l'on considère que l'électron éjecté est l'un de la liaison sigma séparant \(\textrm R\) de \(\textrm R^{\prime}\), on peut facilement imaginer que l'ion parent est sous la forme \([\textrm R^\bullet \textrm R^{\prime}]^+\) et que les fragments observés seront dépendants de la capacité de \(\textrm R\) ou de \(\textrm R^{\prime}\) à emporter cet électron célibataire. Le plus apte à conserver cet électron deviendra alors le radical neutre, l'autre portera la charge et sera le cation (de masse impaire) détecté. On observera préférentiellement le cation ayant le plus faible potentiel d'ionisation (règle de Stevenson). Cela est d'autant plus vrai en série alcane que le cation qui se sépare le plus facilement d'un électron correspond à une forme d'autant plus stable qu'il est porté par un carbone substitué ; ce qui privilégie les cations tertiaires (alcanes ramifiés).

Notez que la coupure sigma \(\sigma\), pour un alcane cyclique n'est pas génératrice de fragment. Cela justifie un net accroissement du P pour les composés cycliques, la seule coupure \(\sigma\) n'étant pas productrice de fragments.

Localisation de la charge, hétéroatomes, systèmes pi

Nous l'avons dit, la présence d'un hétéroatome (porteur de paire(s) d'électrons libres) représente un site favorable au positionnement de la charge (a priori la charge est dans un premier temps diffuse sur la molécule lors de l'ionisation). Des mécanismes sont proposés à partir de cette charge localisée et selon les cas, concernent plutôt la liaison en alpha ou adjacente (assez similaire de ce que nous venons de voir pour les alcanes) soit la liaison suivante, en bêta. Ces deux coupures sont en concurrence et dépendent de la nature de l'hétéroatome.

Les coupures en alpha (adjacentes) mécanisme i

Lorsque l'hétéroatome \(\textrm X\) est porteur de la charge la situation est la suivante : \(\textrm M^{+\bullet}\) s'écrit aussi \(\textrm{R-X(-R}^{\prime}\textrm)_n\) avec n = 0 ou 1 ou 2 selon la valence de l'hétéroatome \(\textrm X\).

La coupure alpha va donc opposer la capacité de \(\textrm R\) (ou \(\textrm R^{\prime}\)) à conserver l'électron de liaison vis à vis de \(\textrm X^{+\bullet}\) ; interviennent alors dans ce cas l'électronégativité des atomes en concurrence, leurs effets inductifs i. Le mécanisme est initié par la charge présente sur l'hétéroatome selon :

Notez que le déplacement d'un seul électron sera décrit par une flèche «en harpon».

Ce mécanisme est dépendant de l'électronégativité mais il est contrarié par les effets donneurs de certains atomes. Il est plus important pour les halogènes que pour l'oxygène, le soufre, eux-mêmes étant nettement plus "attracteurs d'électrons" que l'azote ou le carbone. Dans le cas de l'azote, l'effet donneur est dominant (basicité), pour un carbone il n'y a pas de différence d'électronégativité. Ainsi, la liaison (deux électrons) est totalement déplacée vers la charge laissant le groupe \(\textrm R\) sous une forme de cation \(\textrm R^+\).

Ce mécanisme est important pour les halogènes. Il est concurrencé par un mécanisme initié par le radical, dit coupure bêta

Les coupures en bêta, mécanisme bêta

Ce mécanisme dont l'importance décroît de \(\mathrm{N > S}\), \(\textrm R\), \(\textrm O\), \(\pi\) (pour \(\mathrm{>C=C<}\), \(\mathrm{>C=O}\)) \(\mathrm{> Cl > B r > H}\), consiste au partage des électrons de la liaison bêta entre \(\textrm R\) qui devient radicalaire et le site «radical cation» qui devient cation. On peut l'associer à l'effet "donneur d'électrons" de certains atomes notamment l'azote. On retrouve cette opposition entre "effet attracteur" et "effet donneur" en Infra Rouge pour la vibration des \(\mathrm{>C=O}\) : pour \(\textrm{O-(C=O)}\) et \(\textrm{Cl-(C=O)}\), l'effet attracteur augmente la fréquence de vibration (1740, 1770 \(\textrm{cm}^{-1}\)) alors que l'azote \(\mathrm{>N-(C=O)-}\) la diminue (voir le module sur la spectrométrie Infra Rouge pour plus de détails...)..

Exemple pour les éthers

Exemple pour les alcènes

Exemples pour les cétones

La compétition entre les deux coupures des liaisons en alpha et bêta de l'hétéroatome sera marquée  :

  • par la taille de l'atome et son électronégativité pour la coupure de la liaison la plus proche, avec préférence aux gros atomes électronégatifs (\(\textrm{Cl}\), \(\textrm{Br}\), \(\textrm I\)) qui conduisent à une coupure \(\alpha\) et à la présence de l'hétéroatome sur le fragment non chargé

  • par l'effet donneur de l'hétéroatome conduisant à la coupure de la liaison suivante, avec préférence à l'azote, la charge étant conservée sur le fragment contenant l'hétéroatome.

Les atomes intermédiaires participent aux deux types de coupures.

Exemple

Ainsi pour le bromure de butyle, les ions prépondérants, dont le pic de base à \(\mathrm{\frac{m}{z}}\) = 57, sont des fragments alkyles. Les quelques ions bromés facilement identifiés sous forme de "doublets" séparés par 2 u sont d'intensités relatives très faibles. On observe une prédominance de la coupure \(\alpha\) avec présence de la charge sur \(\textrm R\).

La situation s'inverse pour l'hexylamine puisque le seul fragment notable, pic de base, est dû à la coupure \(\beta\) de l'azote avec présence de la charge sur l'azote : 30 u (100% , c'est l'ion \(\textrm H_2\textrm{C=NH}_2\) marqueur des amines primaires).

Concernant les cycles, la compétition entre les mécanismes initiés par la charge et ceux initiés par le radical va se transformer en contribution simultanée à l'origine d'un mécanisme (double coupure bêta) , remarquable dans les cyclohexènes :

Le radical cation est localisé en lieu et place du système \(\pi\), le radical est l'électron \(\pi\) restant et la charge est portée par l'autre carbone \(\textrm{sp}^2\) et réciproquement.

Deux coupures bêta simultanées, initiées par la charge et le radical donnent un mécanisme concerté qui ressemble à l'inverse de la réaction de Diels-Alder, on parle de rétro Diels RD ou rétro Diels-Alder. Notez que la charge peut migrer du diène à l'alcène.

Les réarrangements rH

Nous l'avons signalé les cations radicalaires (OE et masse paire en absence d'azote) peuvent donner de nouveaux cations radicalaires en perdant une molécule. Ces fragments inattendus sont la preuve de réarrangement classiquement associés « au retour de \(\textrm H^\bullet\) » sur un cation. La contribution de Mac Lafferty à l'étude de ce phénomène est remarquable.

Le mécanisme le plus achevé, largement démontré par l'étude des modifications de la masse des fragments pour des molécules spécifiquement deutérées, est relatif au composés carbonylés.

Le retour d'un atome d'hydrogène, donc sous la forme \(\textrm H^\bullet\) est le plus souvent à l'origine des modifications de parité en masse et en électron des fragments. La disponibilité d'un tel atome proche du site réactif nécessite une proximité spatiale, classiquement illustrée par des mécanismes à six centres. Les réarrangement sont notés r et plus précisément rH pour le retour d'un hydrogène.

Notez que le déplacement de deux électrons est signalé par une flèche alors que celui d'un seul électron sera décrit par une flèche «en harpon».

De nombreux autres réarrangements ont été décrits, mais nous ne les signalerons qu'en cas de nécessité dans l'étude des différentes fonctions ou pour certains exercices.