Matrice symétrique, formes quadratiques et formes bilinéaires symétriques
A partir d'une forme quadratique (ou d'une matrice symétrique) il est possible de construire une forme bilinéaire symétrique.
Théorème : Forme bilinéaire symétrique associée à une forme quadratique ou à une matrice symétrique
Soit \(E\) l'espace vectoriel \(\mathbb R^n\) et \(B_{\mathbb R^n}=(e_1,e_2,...,e_n)\) la base canonique de \(E\). Soit \(A=(a_{i,j})\) une matrice symétrique d'ordre \(n\) à coefficients dans \(\mathbb R\) et \(q\) la forme quadratique sur \(\mathbb R^n\) dont la matrice associée dans la base \(B\) est égale à \(A\). Donc \(q\) est définie par :
\(\displaystyle{x=(x_1,x_2,...,x_n)\mapsto q(x)=\sum_{i=1}^{i=n} a_{i,i}{x_i}^2 + 2\sum_{1\le j\le n} a_{i,j} x_i x_j}\)
Alors :
L'application de \(\mathbb R^n\times \mathbb R^n\) dans \(\mathbb R\) définie pour tout \(x=(x_1,x_2,...,x_n)\) et \(y=(y_1,y_2,...,y_n)\) par :
\(\displaystyle{\displaystyle{(x,y)\mapsto f(x,y)=\sum_{\begin{array}{l} 1\le i\le n \\ 1\le j \le n \end{array}}a_{i,j}x_iy_j}}\)
est une forme bilinéaire symétrique sur \(\mathbb R^n\) telle que :
\(\forall x\in \mathbb R^n, q(x)=f(x,x)\)
On dit que c'est la forme bilinéaire symétrique associée à \(q\) ou forme polaire de \(q\). On dit aussi que \(q\) est la forme quadratique associée à \(f\).
De plus on a :
\(\forall(x,y)\in E\times E, f(x,y)=\frac{1}{2}[q(x+y)-q(x)-q(y)]\)
La matrice symétrique d'ordre \(n\) à coefficients dans \(E\), \(A=(a_{i,j})\) est telle que :
\(\forall(i,j), 1\le i \le n, 1\le j\le n, a_{i,j}=f(e_i,e_j)\)
Elle est appelée matrice associée à \(f\) par rapport à la base \(B\). On dit indifféremment matrice associée à \(f\) ou à \(q\) dans la base \(B\).
Preuve :
Démonstration du 1 : elle est simple, il suffit de faire les calculs.
Démonstration du 2 :
Soit \((x,y)\) appartenant à \(\mathbb R^n \times \mathbb R^n\). Alors en utilisant la bilinéarité de \(f\) il vient :
\(\begin{array}{rcl}q(x+y)&=&f(x+y,x+y)\\&=&f(x,x+y)+f(y,x+y)\\&=&f(x,x)+f(x,y)+f(y,x)+f(y,y)\end{array}\)
Comme \(f\) est symétrique cela donne :
\(\begin{array}{rcl}q(x+y)&=&f(x,x)+2f(x,y)+f(y,y)\\&=&q(x)+2f(x,y)+q(y)\end{array}\)
D'où le résultat.
Démonstration du 3 :
Il suffit d'appliquer la formule \(\displaystyle{f(x,y)=\sum_{\begin{array}{l} 1\le i\le n \\ 1\le j \le n \end{array}}a_{i,j}x_iy_j}\) avec \((x,y)=(e_i,e_j)\).
On a alors l'expression matricielle :
Proposition :
Les hypothèses et notations étant les mêmes que dans le théorème précédent, si \(x\) et \(y\) sont des éléments quelconques de \(\mathbb R^n\), \(X\) et \(Y\) les matrices colonnes dont les éléments sont les coordonnées de \(x\) et \(y\) respectivement dans la base canonique on a :
\(f(x,y)=~^tXAY\).
La preuve de cette propriété résulte de la propriété \(\forall(x,y)\in \mathbb R^n \times \mathbb R^n, f(x,y)=\frac{1}{2}[q(x+y)-q(x)-q(y)]\) et de la formule \(q(x)=~^tXAX\). Alors :
\(\begin{array}{rcl}f(x,y)&=&\frac{1}{2}[~^t(X+Y)A(X+Y)-~^tXAX-~^tYAY]\\&=&\frac{1}{2}[~^tXAY + ~^tYAX]\end{array}\)
or, d'une part les matrices \(~^tXAY \)et \(~^tYAX\) sont des matrices à une ligne une colonne donc égales à leur transposée, et d'autre part la matrice \(A\) est symétrique. Donc :
\(~^tXAY=~^t(~^tXAY)=~^tY~^tA~^t(~^tX)=~^tYAX\) et par conséquent \(f(x,y)=~^tXAY\).
Exemple : géométrie euclidienne classique
Soit \(E=\mathbb R^3\) et \(B=(e_1,e_2,e_3)\) sa base canonique.
Soit l'application \(q\) de \(\mathbb R^3\) dans \(\mathbb R\) définie pour tout \(x=(x_1,x_2,x_3)=x_1e_1+x_2e_2+x_3e_3\) de \(\mathbb R^3\) par :
\(q(x)={x_1}^2+{x_2}^2+{x_3}^2\).
C'est une forme quadratique sur \(\mathbb R^3\).
Alors la matrice associée à \(q\) dans la base canonique est la matrice unité d'ordre 3 et la forme bilinéaire symétrique qui lui est associée (théorème précédent) est définie pour tout élément \(x=(x_1,x_2,x_3)\) et \(y=(y_1,y_2,y_3)\) par :
\(f(x,y)=x_1y_1+x_2y_2+x_3y_3\).
On reconnaît le produit scalaire euclidien de la géométrie classique, la quantité \(\sqrt{q(x)}\) étant la norme euclidienne du vecteur \(x\).
Une relation globale entre forme quadratique et forme bilinéaire symétrique est précisée dans le théorème suivant.
Théorème : Isomorphisme entre S2(Rn) et Q(Rn)
Soient \(Q(\mathbb R^n)\) l'espace vectoriel des formes quadratiques sur \(\mathbb R^n\) et \(S_2(\mathbb R^n)\) l'ensemble des formes bilinéaires symétriques sur \(\mathbb R^n\).
L'ensemble \(S_2(\mathbb R^n)\) a une structure d'espace vectoriel pour les opérations :
\(\begin{array}{clclc}&&\mathbb R^n \times \mathbb R^n &\rightarrow& \mathbb R\\f_1+f_2&:&(x,y)&\mapsto& f_1(x,y)+f_2(x,y)\\\lambda f &:& (x,y)&\mapsto& \lambda f(x,y)\end{array}\)
L'application \(T\) qui à \(q\) appartenant à \(Q(\mathbb R^n)\) associe la forme bilinéaire symétrique \(f_q\) définie par : \(f_q :(x,y)\mapsto \frac{1}{2}[q(x+y)-q(x)-q(y)]\) vérifient les propriétés suivantes :
i. C'est une bijection. L'application réciproque de \(T\) est l'application qui à une forme bilinéaire symétrique \(f\) associe la forme quadratique définie par :
\(\forall x\in \mathbb R^n, q(x)=f(x,x)\)
ii. L'application \(T\) est linéaire c'est-à-dire vérifie les deux propriétés :
\(\forall(q,q')\in Q(\mathbb R^n)\times Q(\mathbb R^n),\quad T(q+q')=T(q)+T(q')\)
\(\forall q\in Q(\mathbb R^n), \forall \lambda \in \mathbb R\quad T(\lambda q)=\lambda T(q)\)
C'est donc un isomorphisme entre \(Q(\mathbb R^n)\) et \(S_2(\mathbb R^n)\).
Les vérifications sont immédiates.
Conséquence pratique :
Cela donne un procédé pratique pour déterminer explicitement la forme polaire d'une forme quadratique définie par :
\(\displaystyle{(*)\quad \forall x=(x_1e_1+x_2e_2+...+x_ne_n)\in\mathbb R^n,\quad q(x)=\sum_{i=1}^{i=n}\alpha_{i,i}{x_i}^2+\sum_{1\le i<j\le n}\alpha_{i,j}{x_i}{x_j}}\)
Notons \(q_i\) et \(q_{i,j}\) les formes quadratiques \(q_i:x\mapsto {x_i}^2\) et \(q_{i,j}:x\mapsto x_ix_j\). La propriété \((*)\) équivaut à :
\(\displaystyle{(**)\quad q=\sum_{i=1}^{i=n}\alpha_{i,i}q_i+\sum_{1\le i<j\le n}\alpha_{i,j}q_{i,j}}\)
la propriété \((**)\) prouve que les formes \(q_i\) et \(q_{i,j}\) forment une famille génératrice de \(Q(\mathbb R^n)\). Il est immédiat de vérifier qu'elles sont linéairement indépendantes. Elles définissent donc une base de \(Q(\mathbb R^n)\).
Cette base est extrêmement utile pour déterminer simplement la forme polaire associée à une forme quadratique donnée (dans l'autre sens si on connaît la forme bilinéaire symétrique, trouver la forme quadratique associée est immédiat, il suffit d'écrire \(q(x)=f(x,x)\)).
En effet, à cause de l'isomorphisme indiqué dans le théorème, si \(f\) est la forme polaire associée à \(q\), \(f_i\) celle associée à \(q_i\) et si \(i\neq j\), \(f_{i,j}\) celle associée à \(q_{i,j}\), il vient :
\(\displaystyle{(***)\quad f=\sum_{i=1}^{i=n}\alpha_{i,i}f_i+\sum_{1\le i<j\le n}\alpha_{i,j}f_{i,j}}\)
et les formes bilinéaires symétriques \(f_i\) et \(f_{i,j}\) définissent une base de \(S_2(\mathbb R^n)\). Il ne reste donc qu'à les déterminer.
En utilisant la définition, il vient :
\(f_i(x,y)=\frac{1}{2}[(x_i+y_i)^2-{x_i}^2-{y_i}^2]=x_iy_i\)
et
\(f_{i,j}(x,y)=\frac{1}{2}[(x_i+y_i)(x_j+y_j)-x_ix_j-y_iy_j]=\frac{1}{2}(x_iy_j+x_jy_i)\)
D'où la proposition :
Proposition : Base de Q(Rn) et de S2(Rn)
Les éléments de \(\mathbb R^n\) sont notés \(x=(x_1,x_2,...,x_n)=x_1e_1+x_2e_2+...+x_ne_n\). Alors les formes quadratiques \(q_i\) et \(q_{i,j}\) définies par \(q_i:x\mapsto {x_i}^2\) et \(q_{i,j}:x\mapsto x_ix_j\) définissent une base de \(Q(\mathbb R^n)\). Leurs images par l'isomorphisme entre \(Q(\mathbb R^n)\) et \(S_2(\mathbb R^n)\) sont les formes bilinéaires symétriques \(f_i\) et \(f_{i,j}\), définies par :
\(f_i(x,y)=x_i y_i\) et \(f_{i,j}(x,y)=\frac{1}{2}(x_iy_j+x_jy_i)\)
Ces formes bilinéaires symétriques \(f_i\) et \(f_{i,j}\) définissent une base de \(S_2(\mathbb R^n)\).
Ce qui donne le corollaire pratique suivant :
Corollaire : Expression explicite de la forme polaire d'une forme quadratique
Si \(q\) est une forme quadratique sur \(\mathbb R^n\) et \(f\) la forme bilinéaire symétrique qui lui est associée (on dit aussi forme polaire de \(q\)), il existe des scalaires \(a_{i,j}\) tels que pour tout \(x=x_1e_1+x_2e_2+...+x_ne_n\), et tout \(y=y_1e_1+y_2e_2+...+y_ne_n\):
\(\displaystyle{q(x)=\sum_{i=1}^{i=n}\alpha_{i,i}{x_i}^2+\sum_{1\le i<j\le n}\alpha_{i,j}{x_i}{x_j}}\)
\(\displaystyle{f(x,y)=\sum_{i=1}^{i=n}\alpha_{i,i}x_iy_i+\frac{1}{2}\sum_{1\le i<j\le n}\alpha_{i,j}(x_i y_j+x_j y_i)}\)
Ce résultat est constamment utilisé dans la pratique.
Exemple :
Soit \(E=\mathbb R^4\).
Soit \(q\) l'application de \(E\) dans \(\mathbb R\) définie pour tout \(x=(x_1,x_2,x_3,x_4)\) par \(q(x)={x_1}^2-2{x_3}^2+x_1x_2-3x_3x_4+2x_1x_4\)
Ci-joint une version animée de ces étapes
Comme \(q(x)\) est une expression polynomiale homogène de degré 2 par rapport aux coordonnées \(x_i\) de \(x\) dans la base canonique, c'est une forme quadratique et sa forme polaire est définie pour tout \(x=(x_1,x_2,x_3,x_4)\) et \(y=(y_1,y_2,y_3,y_4)\) de \(\mathbb R^4\) par \(f(x,y)=x_1y_1-2x_3y_3+\frac{1}{2}(x_1y_2+x_2y_1)-\frac{3}{2}(x_3y_4+x_4y_3)+x_1y_4+x_4y_1\).
La matrice associée à \(f\) (ou à \(q\)) dans la base canonique de \(\mathbb R^4\) est :
\(\left(\begin{array}{ccrr}1&\displaystyle{\frac{1}{2}}&0&1\\\\\displaystyle{\frac{1}{2}}&0&0&0\\\\0&0&-2&-\displaystyle{\frac{3}{2}}\\\\1&0&-\displaystyle{\frac{3}{2}}&0\end{array}\right)\).