Méthodes différentielles

Les méthodes différentielles reposent sur l'analyse des courbes de vitesse en fonction du temps ou vitesse initiale en fonction des concentrations initiales.

On cherche donc à identifier directement la loi de vitesse sous sa forme \(\mathbf{\textrm v = k.g(C_i,..)}\)

On procède généralement par essais successifs des diverses lois de vitesse.

Attention

L'ordre d'une réaction n'est pas toujours un nombre entier ; de plus, toutes les réactions n'admettent pas un ordre.

Il y a donc des cas pour lesquels aucune des relations déduites des lois de vitesse correspondant à des ordres simples ne s'appliquent.

Courbes Avancement/temps et courbes Vitesse/temps

La plupart des méthodes expérimentales permettent de déterminer l'avancement de la réaction en fonction du temps.

Par différentiation des courbes "Avancement/temps", on obtient les courbes "Vitesse/temps".

Exemple

On étudie à la température de 30°C la décomposition en phase gazeuse du pentoxyde de diazote \(\textrm N_2\textrm O_5\) en dioxyde d'azote \(\textrm{NO}_2\) et dioxygène \(\textrm O_2\).

L'équation bilan s'écrit :

\(\mathbf{2.\textrm N_2\textrm O_5=2.\textrm{NO}_2+\textrm O_2}\)

Tous les constituants sont gazeux ; si on opère à volume et température constants, on peut suivre l'évolution de la réaction en mesurant la variation de pression totale en fonction du temps. Mais il est plus simple de suivre la réaction par spectrophotométrie.

En effet, le pentoxyde de diazote et le dioxygène sont incolores, alors que dioxyde d'azote a une couleur rousse (brun rougeâtre) caractéristique.

Le tube à essai ci-contre montre la couleur du \(\textrm{NO}_2\) qui se dégage lors de la réaction du Fer et de l'acide nitrique \(\textrm{HNO}_3\).

En mesurant l'absorption de la lumière à la longueur d'onde correspondante, on peut facilement calculer la concentration en dioxyde d'azote et en déduire la concentration de \(\textrm N_2\textrm O_5\) restante.

Au cours d'une expérience menée à 30°C, on a obtenu les résultats suivants :

t (min)

0

40

80

120

160

200

240

280

320

360

400

440

480

[N2O5]x10+3 mol.L-1.

40

33

28

23

20

16

14

12

10

8

7

6

5

A partir de ces données, on peut construire la courbe Concentration = \(f(t)\) à partir de laquelle on dérive la courbe vitesse / temps :

Exploitation des courbes Vitesse = f( temps )

A partir des deux graphes Concentration / temps (ou Avancement / temps) et Vitesse / temps, il est possible de construire point par point le graphe Vitesse / Concentration ou Vitesse / Avancement.

On procède alors par essais successifs des lois de vitesse sous leur forme différentielle pour établir quelle est la loi qui décrit le mieux l'évolution observée. Reprenons l'exemple ci-dessus.

Le graphe de variation de la Vitesse en fonction de la concentration temps obtenu à partir des deux graphes précédents est donné ci-dessous.

On constate que les points sont sensiblement alignés, ce qui montre que la vitesse est proportionnelle à la concentration en \(\textrm N_2\textrm O_5\). La réaction obéit donc à une loi du premier ordre. \(\mathbf{\textrm v = k.[\textrm N_2\textrm O_5]}\) . La valeur du coefficient de vitesse \(k\) s'obtient facilement par la pente de la droite interpolée. Si ce n'était pas le cas, il faudrait essayer d'autres ordres. Pour les réactions obéissant à un ordre simple voir les exemples de vérification d'ordre donnés au chapitre 2 traitant de l' Approche formelle de lois de vitesse d'ordre simple.

Méthode des vitesses initiales

Dans certains cas, au lieu de mettre en relation les vitesses et les concentrations déterminées à différents instants d'une même expérience, on préfère déterminer la vitesse au temps initial (dite vitesse initiale) pour plusieurs expériences effectuées avec des concentrations initiales différentes. Cette manière d'opérer est particulièrement utile lorsque les produits de la réaction sont susceptibles d'avoir une influence sur la vitesse de la réaction. En effet, à l'instant initial, les produits de réaction ne sont pas encore formés.

Reprenons l'exemple ci-dessus de la décomposition en phase gazeuse du pentoxyde de diazote \(\textrm N_2\textrm O_5\) en dioxyde d'azote \(\textrm{NO}_2\) et dioxygène \(\textrm O_2\) , dont l'équation bilan s'écrit :

\(\mathbf{2. \textrm N_2\textrm O_5 = 2. \textrm{NO}_2 + \textrm O_2}\)

On effectue plusieurs expériences avec des concentrations initiales en \(\textrm N_2\textrm O_5\) différentes et on détermine la vitesse initiale pour chacune d'elle. On mesure la variation de concentration de \(\textrm N_2\textrm O_5\) en s'attachant à être le plus précis possible au début de la réaction. Pour chaque expérience on détermine la vitesse initiale, par la valeur de la pente de la tangente à l'origine.

Les valeurs obtenues sont reportées dans le tableau ci-dessous :

Expérience n°

1

2

3

4

5

[N2O5]0

0.02

0.04

0.06

0.08

0.10

V0.10+4 mol.L-1.min -1.

0.90

1.78

2.67

3.57

4.41

Pour vérifier la proportionnalité entre la vitesse initiale et la concentration initiale, on peut opérer :

  • de manière numérique, en calculant pour chaque expérience la valeur de \(\mathbf{k = \frac{V_0}{[ \textrm N_2\textrm O_5 ]_0}}\) .

    On constate alors que les valeurs obtenues sont sensiblement constantes.

    Expérience n°

    1

    2

    3

    4

    5

    [N2O5]0

    0.02

    0.04

    0.06

    0.08

    0.10

    V0.10+6 mol.L-1.min -1.

    1.50

    2.99

    4.48

    5.99

    7.50

    k.10+5min-1.

    7.50

    7.48

    7.47

    7.49

    7.50

  • de manière graphique, en portant les points de coordonnées \(V_0\), \(\mathbf{[ \textrm N_2\textrm O_5 ]_0}\) sur un graphe.

    On constate alors que les points sont sensiblement alignés.

On constate que la vitesse de réaction est proportionnelle à la concentration initiale du réactif.

Ce qui vérifie que la réaction est bien du premier ordre.

La méthode des vitesses initiales peut s'employer également dans le cas des réactions faisant intervenir plusieurs réactifs.

Considérons le cas d'une réaction obéissant à la loi de vitesse : \(\mathbf{V=k.C_\textrm A^\alpha.C_\textrm B^\beta}\) d'ordre partiel \(\alpha\) par rapport à \(\textrm A\) et \(\beta\) par rapport à \(\textrm B\).

En maintenant constante la concentration initiale de \(\textrm B\) et en faisant varier celle de \(\textrm A\), on peut déterminer l'ordre partiel \(\alpha\) par rapport à \(\textrm A\). Puis on détermine l'ordre partiel \(\beta\) par rapport à \(\textrm B\) par une deuxième série d'expériences pour lesquelles la concentration initiale de \(\textrm A\) est maintenue constante alors que celle de \(\textrm B\) varie.

Exemple

On a mesuré la vitesse initiale de la réaction :

\(\mathbf{2.\textrm{NO} + \textrm{Br}_2 = 2. \textrm{NOBr}}\)

en faisant varier les concentrations initiales des réactifs. Les résultats sont consignés dans les tableaux suivants :

  • Première série d'expériences

    [ NO ]0 maintenu constante à 0,100 mol.L-1.

    Expérience n°

    1

    2

    3

    [Br2]0 mol.L-1.

    0.100

    0.200

    0.400

    V0 mol.L-1.min -1.

    8.6

    18

    34

  • Deuxième série d'expériences

    [ Br2 ]0 maintenu constante à 0,100 mol.L-1.

    Expérience n°

    1

    4

    5

    [ NO ]0 mol.L-1.

    0.100

    0.160

    0.220

    V0 mol.L-1.min -1.

    8.6

    22

    41

Nota : l'expérience n° 1 est commune aux deux séries.

Ces résultats sont faciles à interpréter.

La première série d'expériences montre que la vitesse initiale est quasiment proportionnelle à la concentration initiale en \(\textrm{Br}_2\) comme le montre le tableau ci-dessous :

Expérience n°

1

2

3

V0 / [ Br2 ]0

86

90

85

Les petits écarts observés peuvent être mis sur le compte des incertitudes sur la détermination de \(V_0\). L'ordre partiel par rapport à \(\textrm{Br}_2\) est donc égal à 1.

La deuxième série d'expériences montre que la vitesse initiale est quasiment proportionnelle au carré de la concentration initiale en \(\textrm{NO}\). En effet, en formant le rapport \(\frac{V_0}{[\textrm{NO}]_0^2}\) on trouve des valeurs sensiblement constantes.

Expérience n°

1

4

5

V0 / [ NO ]0

860

859

847

L'ordre partiel par rapport à \(\textrm{NO}\) est donc égal à 2.

La loi de vitesse s'écrit donc :

\(\mathbf{V_0 = k . [\textrm{Br}_2]_0 . [\textrm{NO}]_0^2}\)

RemarqueMéthode des vitesses initiales

Il est évident que la loi de vitesse établie à partir des vitesses initiales ne prend en compte que les concentrations des réactifs présents à l'état initial. S'il se trouve qu'un des produits formés par la réaction a une influence sur la vitesse, on ne pourra pas s'en rendre compte si on ne procède pas à des vérifications.

Dans un tel cas, on ne peut pas généraliser la loi de vitesse établie pour l'instant initial à l'ensemble du déroulement de la réaction.

Considérons par exemple une réaction qui peut se produire dans les deux sens telle que la formation de l'ammoniac à partir du diazote et du dihydrogène.

\(\mathbf{\textrm N_2 + 3. \textrm H_2 = 2.\textrm{NH}_3}\)

Si on fait l'étude de la réaction par la méthode des vitesses initiales, on pourra déterminer l'ordre par rapport à \(\textrm N_2\) et \(\textrm H_2\), mais on ne pourra pas se rendre compte que la vitesse globale de la réaction dépend aussi de la quantité de \(\textrm{NH}_3\) formée. En effet, il se produit simultanément la réaction inverse. Une telle réaction conduit à un état d'équilibre et se trouve étudiée au chapitre 5 "Réactions composées - Réactions opposées".

Attention

Toutes les réactions n'obéissent pas à un ordre simple.

Exemple

Considérons par exemple la réaction thermique de formation de \(\textrm{HBr}\) à partir de \(\textrm H_2\) et de \(\textrm{Br}_2\)

\(\mathbf{\textrm H_2 + \textrm{Br}_2 = 2. \textrm{HBr}}\)

En mesurant les vitesses initiales pour des expériences réalisées avec différentes concentrations initiales en \(\textrm H_2\) et de \(\textrm{Br}_2\) judicieusement choisies, on peut déterminer les ordres partiels. Le tableau suivant rassemble les résultats que l'on pourrait obtenir lors d'une telle étude.

Expérience n°

I

II

III

IV

V

[H2]0 mol.L-1.

a

2a

4a

a

a

[Br2]0 mol.L-1.

b

b

b

2b

4b

V0 mol.L-1.min -1.

V

2V

4V

1.4V

2V

Les expériences I, II et III sont conduites avec la concentration initiale en \(\textrm{Br}_2\) maintenue constante ( \([\textrm{Br}_2]_0 = \textrm b\) ) et la concentration intiale en \(\textrm H_2\) variant de \([\textrm H_2]_0 = \textrm a\) à \([\textrm H_2]_0 = 4\textrm a\). On constate que la vitesse initiale varie proportionnellement à \([\textrm H_2]_0\). L'ordre partiel par rapport à \(\textrm H_2\) est donc égal à 1.

Quand aux expériences I, IV et V, elles sont conduites avec la concentration initiale en \(\textrm H_2\) maintenue constante ( \([\textrm H_2]_0 = \textrm a\) ) et la concentration intiale en \(\textrm{Br}_2\) variant de \([\textrm{Br}_2]_0 = \textrm b\) à \([\textrm{Br}_2]_0 = 4\textrm b\).

On constate que la vitesse initiale varie proportionnellement à la racine carrée de \([\textrm{Br}_2]_0\). L'ordre partiel par rapport à \(\textrm{Br}_2\) est donc égal à \(\frac12\). La relation entre la vitesse initiale de la réaction et les concentrations initiales est donc de la forme :

\(\mathbf{V_0 = k . [\textrm H_2]_0 . [\textrm{Br}_2]_0^{\frac12}}\)

L'ordre global de cette loi de vitesse est \(\frac32\). Cependant, il serait imprudent de généraliser cette relation qui a été établie avec les vitesses initiales, c'est à dire aux tous premiers instants de la réaction alors que le produit de réaction \(\textrm{HBr}\) ne s'est pas encore formé en quantité appréciable.

En effet, si on étudie la réaction sur des temps plus importants, on constate qu'elle se ralentit beaucoup plus vite que ne le laisse prévoir la loi de vitesse établie à partir des conditions initiales. Cela semble indiquer que le produit formé \(\textrm{HBr}\) a une influence inhibitrice sur le déroulement de la réaction.

Pour étudier l'influence de la concentration en \(\textrm{HBr}\) sur la vitesse de réaction on fait quelques expériences complémentaires en introduisant du \(\textrm{HBr}\) dans le mélange réactionnel dès les premiers instants.

Expérience n°

I

VI

VII

[H2]0 mol.L-1.

a

a

a

[Br2]0 mol.L-1.

b

2b

2b

[HBr]0 mol.L-1.

0

b

2b

V0 mol.L-1.min -1.

V

0.9V

0.83V

On constate bien que la présence de \(\textrm{HBr}\) a pour effet de diminuer la vitesse de la réaction. L'ensemble des observations a conduit Bodenstein et ses collaborateurs à proposer la loi de vitesse suivante :

\(\mathbf{V=\frac{k.[\textrm H_2].[\textrm{Br}_2]^{\frac12}}{1+k'\frac{[\textrm{HBr}]}{[\textrm{Br}_2]}}}\)

la constante \(k'\) vaut environ 0,10 ce qui explique que l'influence de la concentration en \(\textrm{HBr}\) soit faible et difficile à mettre en évidence.