Relations entre la décomposition en facteurs irréductibles du polynôme minimal et celle du polynôme caractéristique

Plusieurs résultats ont déjà été démontrés :

  • Le polynôme minimal a les mêmes racines que le polynôme caractéristique.

  • Le polynôme minimal divise le polynôme caractéristique.

Le théorème suivant va donner une relation plus précise entre le polynôme minimal et le polynôme caractéristique.

ThéorèmeFacteurs irréductibles du polynôme minimal et du polynôme caractéristique

  1. Le polynôme caractéristique et le polynôme minimal d'un endomorphisme d'un espace vectoriel de type fini ont les mêmes facteurs irréductibles.

    Plus précisément, si \(\displaystyle{P_{\textrm{car},f}(X)=(-1)^{\textrm{dim}E}\prod_{i=1}^{i=r}(P_i(X))^{n'_i}}\) est la décomposition de \(P_{\textrm{car},f}\) en facteurs irréductibles unitaires, \(\displaystyle{P_{\textrm{min},f}(X)=\prod_{i=1}^{i=r}(P_i(X))^{n_i}}\) est celle du polynôme minimal, avec les inégalités : \(1\leq n_i\leq n_i^r\)

  2. Le polynôme \(P_{\textrm{car},f}(X)\) divise le polynôme \([P_{\textrm{car},f}(X)]^{\textrm{dim}E}\).

En fait dans un corps algébriquement clos par exemple dans \(\mathbb C\), le résultat 1. se déduit immédiatement des deux propriétés que nous venons de rappeler, mais dans le cas d'un corps non algébriquement clos par exemple \(\mathbb R\), il apporte une propriété supplémentaire qui donnera des résultats intéressants dans le cas des endomorphismes non diagonalisables.

La démonstration nécessite les propriétés suivantes concernant les polynômes annulateurs et plus précisément le polynôme minimal.

RappelExpression du polynôme minimal lorsque l'espace vectoriel est somme directe de sous-espaces stables

Soit \(E\) un espace vectoriel de type fini et \(f\) un endomorphisme de \(E\). On suppose que \(E=V_1\oplus\cdots\oplus V_r\) où les \(V_i\) sont des sous-espaces vectoriels de \(E\), stables par \(f\). On note, pour tout \(i,1\leq i\leq r,f_i\) la restriction de \(f\) à \(V_i\).

Alors

\(P_{\textrm{min},f}(X)=\textrm{PPCM}(P_{\textrm{min},f_i}(X))\)

Elle nécessite aussi le Lemme des noyaux et son corollaire.

RappelLemme des noyaux

Soit \(E\) un \(\mathbf K\)-espace vectoriel et \(f\) un endomorphisme de \(E\).

Soit \(P\) un polynôme à coefficients dans \(\mathbf K\) ; on suppose que \(P=P_1P_2\cdots P_k\) avec \(P_1,P_2,\cdots,P_k\) polynômes premiers entre eux deux à deux. Alors

\(\textrm{Ker}P(f)=\textrm{Ker}P_1(f)\oplus\textrm{Ker}P_2(f)\oplus\cdots\oplus\textrm{Ker}P_k(f)\)

DémonstrationDémonstration du lemme des noyaux

On procède par récurrence pour \(k\ge 2\).

  • Cas où : \(k=2\)

    On a donc \(P=P_1P_2\) avec \(P_1,P_2\) premiers entre eux. On peut donc appliquer le théorème de Bézout. Il existe donc deux polynômes \(Q_1\) et \(Q_2\) tels que \(P_1Q_1+P_2Q_2=1\). D'où :

    \(P_1(f)\bigcirc Q_1(f)+P_2(f)\bigcirc Q_2(f)=Id_E\)

    donc pour tout \(x\) de \(E\) et en particulier pour tout élément \(x\) de \(\textrm{Ker}P(f)\) on a : \(x=[P_1(f)\bigcirc Q_1(f)](x)+[P_2(f)\bigcirc Q_2(f)](x)\).

    Soient \(x_1=[P_1(f)\bigcirc Q_1(f)](x)\) et \(x_2=[P_2(f)\bigcirc Q_2(f)](x)\). Alors \(x=x_1+x_2\). Considérons \(P_2(f)(x_1)=P_2(f)[P_1(f)\bigcirc Q_1(f)](x)=Q_1(f)\bigcirc P(f)(x)=0\), puisque \(x\) appartient au noyau de \(P(f)\).

    D'où \(P_2(f)(x_1)=0\) et par conséquent \(x_1\) appartient à \(\textrm{Ker}P_2(f)\). De la même façon on démontre que \(x_2\) appartient à \(\textrm{Ker}P_1(f)\). Donc on a \(\textrm{Ker}P(f)=\textrm{Ker}P_1(f)+\textrm{Ker}P_2(f)\). Cette somme est directe.

    En effet si \(x\) appartient à \(\textrm{Ker}P_1(f)\cap\textrm{Ker}P_2(f)\) alors \(x\) vérifie : \(\textrm{Ker}P_1(f)(x)=\textrm{Ker}P_2(f)(x)=0\). Or \(x=Q_1(f)(P_1(f)(x))+Q_2(f)(P_2(f)(x))\) (ne pas oublier que les endomorphismes de la forme \(P(f)\) commutent entre eux) d'où \(x=0\) et \(\textrm{Ker}P(f)=\textrm{Ker}P_1(f)+\textrm{Ker}P_2(f)\).

  • Supposons le résultat vrai pour \(k\) et montrons le pour \(k+1\)

    On a \(P=R_1R_2\) avec \(R_1=P_1\cdots P_k\) et \(R_2=P_{k+1}\). Les polynômes \(R_1\) et \(R_2\) sont premiers entre eux (théorème de Gauss) et par conséquent d'après le cas \(k=2\), on a \(\textrm{Ker}P(f)=\textrm{Ker}R_1(f)\oplus\textrm{Ker}R_2(f)\).

    En utilisant l'hypothèse de récurrence, cela donne

    \(\textrm{Ker}P(f)=\textrm{Ker}P_1(f)\oplus\textrm{Ker}P_k(f)\oplus\textrm{Ker}P_{k+1}(f)\)

    Il faut noter que \(E\) est un espace quelconque que l'on n'a pas supposé de type fini.

CorollaireCorollaire du lemme des noyaux : polynôme annulateur et décomposition en somme directe de sous-espaces stables

Soit E un espace vectoriel et \(f\) un endomorphisme de \(E\).

Soit \(P\) un polynôme annulateur de \(f\) ; on suppose que \(P=P_1P_2\cdots P_k\) avec \(P_1,P_2,\cdots,P_k\) polynômes premiers entre eux deux à deux. Pour tout \(i\) compris entre \(1\) et \(k\), on note \(E_i=\textrm{Ker}P_i(f)\) . Alors

  1. \(E\) est somme directe des sous-espaces \(E_i\), autrement dit

    \(E=E_1\oplus E_2\oplus\cdots\oplus E_k\)

  2. Pour tout \(i\) compris entre \(1\) et \(k\), le sous-espace \(E_i\) est stable par \(f\).

PreuvePreuve de la conclusion (1) du théorème

Soit \(\displaystyle{P_{\textrm{car},f}(X)=(-1)^n\prod_{i=1}^{i=r}(P_i(X))^{n'_i}}\) la décomposition en facteurs irréductibles unitaires du polynôme caractéristique. C'est un polynôme annulateur de \(f\) d'après le théorème de Cayley Hamilton, donc, d'après le lemme des noyaux on a

\(E=\textrm{Ker}(P_1(f))^{n'_1}\oplus\textrm{Ker}(P_2(f))^{n'_2}\oplus\cdots\oplus\textrm{Ker}(P_r(f))^{n'_r}\)

Il suit des résultats que nous venons de rappeler qu'alors \(P_{\textrm{min},f}(X)=\textrm{PPCM}(P_{\textrm{min},f_i}(X))\)

\(f_i\) est la restriction de \(f\) à \(\textrm{Ker}(P_i(f))^{n'_i}\) .

Or, si \(v\) est un élément quelconque de \(\textrm{Ker}(P_i(f))^{n'_i}\), on a \((P_i(f))^{n'_i}(v)=0\) et donc \((P_i(f_i))^{n'_i}(v)=0\). D'où \((P_i(X))^{n'_i}\) est un polynôme annulateur de \(f_i\) et par conséquent le polynôme minimal de \(f_i\) est un diviseur de \((P_i(X))^{n'_i}\). Comme le polynôme \(P_i(X)\) est irréductible, les seuls polynômes qui divisent \((P_i(X))^{n'_i}\) sont les puissances de \(P_i(X)\) et par conséquent il existe un entier \(n_i\) tel que \(1\leq n_i\leq n'_i\) et \(P_{\textrm{min},f_i}(X)=(P_i(X))^{n_i}\). D'où la formule pour le polynôme minimal de \(f\).

PreuvePreuve de la conclusion 2) du théorème

Cela résulte des formules \(\displaystyle{P_{\textrm{min},f}(X)=\prod_{i=1}^{i=r}(P_i(X))^{n_i}}\) et

\(\displaystyle{P_{\textrm{car},f}(X)=(-1)^{\textrm{dim}E}\prod_{i=1}^{i=r}(P_i(X))^{n'_i}}\), et du fait que le degré du polynôme caractéristique est égal à la dimension de l'espace ce qui donne la formule : \(\displaystyle{\sum_{i=1}^{i=k}n'_i=\textrm{dim}E}\).