Polynôme annulateur et décomposition en somme directe de sous-espaces stables

Le résultat suivant est un outil tout à fait essentiel pour la suite et dans toute la théorie de la réduction des matrices.

LemmeLemme des noyaux

Soit \(E\) un \(\mathbf K\)-espace vectoriel et \(f\) un endomorphisme de \(E\).

Soit \(P\) un polynôme à coefficients dans \(\mathbf K\) ; on suppose que \(P=P_1P_2\cdots P_k\) avec \(P_1,P_2,\cdots,P_k\) polynômes premiers entre eux deux à deux. Alors :

Ker\(P(f)\)=Ker\(P_1(f)\oplus\)Ker\(P_2(f)\oplus\cdots\oplus\)Ker\(P_k(f)\)

Preuve

On procède par récurrence pour \(k\ge 2\)

  • Cas où \(k=2\) :

    On a donc \(P=P_1P_2\) avec \(P_1,P_2\) premiers entre eux. On peut donc appliquer le théorème de Bézout. Il existe donc deux polynômes \(Q_1\) et \(Q_2\) tels que \(P_1Q_1+P_2Q_2=1\).

    D'où :

    \(P_1(f)\bigcirc Q_1(f)+P_2(f)\bigcirc Q_2(f)=Id_E\)

    donc pour tout \(x\) de \(E\) et en particulier pour tout élément \(x\) de Ker\(P(f)\) on a :

    \(x=[P_1(f)\bigcirc Q_1(f)](x)+[P_2(f)\bigcirc Q_2(f)](x)\)

    Soient \(x_1=[P_1(f)\bigcirc Q_1(f)](x)\) et \(x_2=[P_2(f)\bigcirc Q_2(f)](x)\)

    Alors \(x=x_1+x_2\).

    Considérons \(P_2(f)(x_1)=P_2(f) [P_1(f)\bigcirc Q_1(f)](x)=Q_1(f)\bigcirc P(f)(x)=0\) puisque \(x\) appartient au noyau de \(P(f)\).

    D'où \(P_2(f)(x_1)=0\) et par conséquent \(x_1\) appartient à Ker\(P_2(f)\).

    De la même façon on démontre que \(x_2\) appartient à Ker\(P_1(f)\).

    Donc on a Ker\(P(f)=\)Ker\(P_1(f)+\)Ker\(P_2(f)\).

    Donc Cette somme est directe.

    En effet soit \(x\) appartenant à Ker\(P_1(f)\cap\)Ker\(P_2\).

    Donc \(x\) vérifie : \(P_1(f)(x)=P_2(f)(x)=0\).

    Or \(x=Q_1(f)(P_1(f)(x))+Q_2(f)(P_2(f)(x))\) (ne pas oublier que les endomorphismes de la forme \(P(f)\) commutent entre eux) d'où \(x=0\) et Ker\(P(f)=\)Ker\(P_1(f)\oplus\)Ker\(P_2(f)\).

  • Supposons le résultat vrai pour \(k\) et montrons le pour \(k+1\)

    On a \(P=R_1R_2\) avec \(R_1=P_1\cdots P_k\) et \(R_2=P_{k+1}\) Les polynômes \(R_1\) et \(R_2\) sont premiers entre eux (théorème de Gauss) et par conséquent d'après le cas \(k=2\), on a Ker\(P(f)=\)Ker\(R_1(f)\oplus\)Ker\(R_2(f)\).

    En utilisant l'hypothèse de récurrence, cela donne Ker\(P(f)=\)Ker\(P_1(f)\oplus\cdots\oplus\)Ker\(P_k(f)\oplus\)Ker\(P_{k+1}(f)\).

Il faut noter que \(E\) est un espace quelconque que l'on n'a pas supposé de type fini.

CorollairePolynôme annulateur et décomposition en somme directe de sous-espaces stables

Soit \(E\) un espace vectoriel et \(f\) un endomorphisme de \(E\).

Soit \(P\) un polynôme annulateur de \(f\) ; on suppose que \(P=P_1P_2\cdots P_k\) avec \(P_1,P_2,\cdots,P_k\) polynômes premiers entre eux deux à deux. Pour tout \(i\) compris entre \(1\) et \(k\), on note \(E_i=\)Ker\(P_i(f)\). Alors :

  1. \(E\) est somme directe des sous-espaces \(E_i\), autrement dit :

    \(E=E_1\oplus E_2\oplus\cdots\oplus E_k\)

  2. Pour tout \(i\) compris entre \(1\) et \(k\), le sous-espace \(E_i\) est stable par \(f\).

Le 1. est une conséquence immédiate du lemme des noyaux puisque, \(P\) étant un polynôme annulateur de \(f\), on a \(E=\)Ker\(P(f)\).

Le 2. se vérifie aisément. En effet soit \(v\) un élément de \(E_i=\)Ker\(P_i(f)\); on a donc \(P_i(f)(v)=0\). Comme \(f\) et \(P_i(f)\) commutent, \(P_i(f)(f(v))=f(P_i(f)(v))=f(0)=0\).

Donc \(f(v)\) appartient à Ker\(P_i(f)\).

Remarque

Comme \(P\) est un polynôme annulateur mais pas forcément le polynôme minimal, certains de ces noyaux peuvent être réduits au vecteur nul.

ExempleExemple d'utilisation de ce corollaire et illustration de la remarque

Cherchons toutes les applications linéaires telles que \(f^2=Id_E\)\(E\) est un \(\mathbf K\)-espace vectoriel.

Soit \(f\) un tel endomorphisme de \(E\). Le polynôme \(X^2-1\) est un polynôme annulateur de \(f\).

Comme \(X^2-1=(X-1)(X+1)\) avec \((X-1)\) et \((X+1)\) premiers entre eux, on a d'après le corollaire \(E=\)Ker\((f-Id_E)\oplus\)Ker\((f+Id_E)\).

Plusieurs cas sont à envisager :

  • si Ker\((f-Id_E)=\{0\}\), alors \(E=\)Ker\((f+Id_E)\) et \(f=-Id_E\) et \(P_{\textrm{min},f}(X)=X+1\),

  • si Ker\((f+Id_E)=\{0\}\), alors \(E=\)Ker\((f-Id_E)\) et \(f=Id_E\) et \(P_{\textrm{min},f}(X)=X-1\),

  • si Ker\((f+Id_E)\neq\{0\}\), et Ker\((f-Id_E)\neq\{0\}\) , alors, \(\forall v\in\)Ker\((f-Id_E) ,f(v)=v\) et \(\forall v\in\)Ker\((f+Id_E),f(v)=-v\)

Donc \(f\) est la symétrie par rapport à Ker\((f-Id_E)\) parallèlement à Ker\((f+Id_E)\). Le polynôme minimal de \(f\) est dans ce cas \(X^2-1\).

La réciproque est immédiate.