Noyau et image d'une application linéaire

Partie

Soit \(E\) un espace vectoriel réel de dimension \(4\) et \((e_1,e_2,e_3,e_4)\) une base de \(E\).

Si \(\alpha\) est un nombre réel, on définit l'endomorphisme \(f_\alpha\) de \(E\) par :

\(\begin{array}{rcrcrcrcr} f_\alpha(e_1)&=&&&e_2&-&e_3&-&\alpha e_4 \\ f_\alpha(e_2)&=&e_1&&&&&+&e_4 \\ f_\alpha(e_3)&=&\alpha e_1&+&e_2&-&e_3&& \\ f_\alpha(e_4)&=&(\alpha-1)e_1&-&\alpha e_2&+&\alpha e_3&+&\alpha e_4\end{array}\)

Question

Déterminer suivant les valeurs de \(\alpha\) une base de chacun des sous-espaces \(\textrm{Im}(f_\alpha)\) et \(\textrm{Ker}(f_\alpha)\).

Aide simple
  • Commencer par déterminer le noyau.

  • Pour ne pas risquer d'introduire des cas superflus dans la discussion sur le paramètre, repousser la discussion le plus tard possible.

Solution détaillée

Quelle stratégie utiliser pour répondre à une question du type "Déterminer une base de l'image (respectivement du noyau) d'un endomorphisme donné" ?

Il faut noter que, du fait du théorème du rang, dès que l'on connaît une base de l'un, on connaît la dimension de l'autre ; pour ce dernier, il suffira donc, pour avoir une base, d'avoir une famille libre ou génératrice ayant le bon nombre d'éléments.

Il y a par conséquent un choix à faire : par lequel faut-il commencer, de l'image ou du noyau, pour avoir la démonstration la plus courte, la plus simple et la moins redondante possible ?

On ne sait rien à l'avance du noyau et, même si on connaissait sa dimension, on ne pourrait pas faire l'économie de la recherche explicite de ses éléments.

Il parait donc judicieux de commencer par rechercher le noyau. En fait on va en déterminer une base, on aura donc sa dimension d'où on déduira la dimension de l'image et on pourra alors terminer l'étude de la façon suivante :

Compte tenu de la façon dont l'endomorphisme \(f_\alpha\) est donné (image des vecteurs d'une base), on a déjà un système de générateurs de l'image de \(f_\alpha\). Donc la connaissance de la dimension nous permettra rapidement de trouver une base en cherchant une famille libre ayant le bon nombre d'éléments dans la famille \(\{f_\alpha(e_1),f_\alpha(e_2),f_\alpha(e_3),f_\alpha(e_4)\}\).

Soit \(\displaystyle{x=\sum_{i=1}^{i=4}x_ie_i}\) un élément de \(E\) tel que \(f_\alpha(x)=0\). Cette égalité est équivalente à :

\((x_2+\alpha x_3+(\alpha-1)x_4)e_1+(x_1+x_3-\alpha x_4)e_2+(-x_1-x_3+\alpha x_4)e_3+(-\alpha x_1+x_2+\alpha x_4)e_4=0\)

Comme \((e_1,e_2,e_3,e_4)\) est une base de \(E\), cette égalité équivaut au système :

\((S_1)\left\{\begin{array}{rcrcrcrcl} &&x_2&+&\alpha x_3&+&(\alpha-1)x_4&=&0 \\ x_1&&&+&x_3&-&\alpha x_4&=&0 \\ -x_1&&&-&x_3&+&\alpha x_4&=&0 \\ -\alpha x_1&+&x_2&&&+&\alpha x_4&=&0 \end{array} \right.\)

On va résoudre ce système par la méthode du pivot de Gauss en repoussant la discussion sur le paramètre le plus tard possible, pour ne pas introduire de cas particuliers inutiles.

On voit que la troisième équation est l'opposée de la deuxième ; par conséquent le système \((S_1)\) est équivalent au système \((S_2)\) suivant :

\((S_2)\left\{\begin{array}{rcrcrcrcl} x_1&&&+&x_3&-&\alpha x_4&=&0 \\ &&x_2&+&\alpha x_3&+&(\alpha-1)x_4&=&0 \\ -\alpha x_1&+&x_2&&&+&\alpha x_4&=&0 \end{array} \right.\)

\(\Leftrightarrow(S_3)\left\{\begin{array}{rcrcrcrclc} x_1&&&+&x_3&-&\alpha x_4&=&0&L_1\\ &&x_2&+&\alpha x_3&+&(\alpha-1)x_4&=&0&L_2 \\ &&x_2&+&\alpha x_3&+&\alpha(1-\alpha) x_4&=&0&L_3\rightarrow L_3+\alpha L_1 \end{array} \right.\)

\(\Leftrightarrow(S_4)\left\{\begin{array}{rcrcrccclc} x_1&&&+&x_3&-&\alpha x_4&=&0&L_1\\ &&x_2&+&\alpha x_3&+&(\alpha-1)x_4&=&0&L_2 \\ &&&&&&(1-\alpha)(\alpha+1) x_4&=&0&L_3\rightarrow L_3-L_2 \end{array} \right.\)

Apparaît alors naturellement la discussion en fonction du paramètre \(\alpha\), en considérant la dernière équation.

  • Premier cas :\(\alpha\notin\{1,-1\}\)

La dernière équation implique \(x_4=0\), la deuxième donne alors \(x_2=-\alpha x_3\) et la troisième \(x_1=-x_3\).

Donc un vecteur \(\displaystyle{x=\sum_{i=1}^{i=4}x_ie_i}\) appartient au noyau de \(f_\alpha\) si et seulement si il peut s'écrire

\(x=x_3(-e_1-\alpha e_2+e_3)\)

Le vecteur non nul \(-e_1-\alpha e_2+e_3\) engendre le noyau de \(f_\alpha\). Il définit donc une base de \(\textrm{Ker}(f_\alpha)\) qui est donc de dimension \(1\). L'image de \(f_\alpha\) est donc de dimension \(3\) (théorème du rang).

L'observation de l'expression des vecteurs \(f_\alpha(e_1), f_\alpha(e_2), f_\alpha(e_3), f_\alpha(e_4)\) sur la base \((e_1,e_2,e_3,e_4)\) permet de "voir" la relation : \(f_\alpha(e_3)-f\alpha(e_1)=\alpha f_\alpha(e_2)\) soit \(f_\alpha(e_3)=f\alpha(e_1)+\alpha f_\alpha(e_2)\),

donc les vecteurs \(f\alpha(e_1),f_\alpha(e_2),f_\alpha(e_3)\) sont linéairement dépendants, \(f_\alpha (e_3)\) est combinaison linéaire des vecteurs \(f_\alpha(e_1)\) et \(\alpha f_\alpha(e_2)\).

Donc les vecteurs \(f\alpha(e_1),f_\alpha(e_2),f_\alpha(e_4)\) forment un système de générateurs de l'image de \(f_\alpha\); comme sa dimension est \(3\), \(\{f_\alpha(e_1),f_\alpha(e_2), f_\alpha(e_4)\}\) définit une base de l'image de \(f_\alpha\).

Deuxième cas : \(\alpha=1\)

Le système \((S_4)\) devient

\(\Leftrightarrow(S_4)\left\{\begin{array}{rcrcrcccl} x_1&&&+&x_3&-&x_4&=&0\\ &&x_2&+&x_3&&&=&0 \\ &&&&&&0&=&0\end{array}\right.\)

On a alors \(x_2=-x_3\) et \(x_1=-x_3+x_4\). Donc un vecteur \(\displaystyle{x=\sum_{i=1}^{i=4}x_ie_i}\) appartient au noyau de \(f_1\) si et seulement si il peut s'écrire \(x=x_3(-e_1-e_2+e_3)+x_4(e_1+e_4)\)\(x_3\) et \(x_4\) sont des nombres réels quelconques. Les vecteurs \(-e_1-e_2+e_3, e_1+e_4\) engendrent le noyau de \(f_1\). Ils ne sont pas colinéaires, donc ils sont libres et définissent une base de \(\textrm{Ker}(f_1)\), qui est donc de dimension \(2\).

Par conséquent l'image de \(f_1\) est de dimension \(2\) :

elle est engendrée par les vecteurs \(f_1(e_1),f_1(e_2),f_1(e_3),f_1(e_4)\) tels que

\(\begin{array}{rcrcrcrcl}f_1(e_1)&=&&&e_2&-&e_3&-&e_4\\f_1(e_2)&=&e_1&&&&&+&e_4\\f_1(e_3)&=&e_1&+&e_2&+&e_3&&\\f_1(e_4)&=&&-&e_2&+&e_3&+&e_4\end{array}\)

Il suffit donc de trouver deux vecteurs linéairement indépendants dans cette famille. Par exemple les deux premiers ne sont pas colinéaires, donc ils sont linéairement indépendants et donc définissent une base de l'image de \(f_1\).

Troisième cas : \(\alpha=-1\)

Le système \((S_4)\) devient

\((S_4)\left\{\begin{array}{rcrcrcrcl} x_1&&&+&x_3&+&x_4&=&0 \\ &&x_2&-&x_3&-&2x_4&=&0 \\ &&&&&&0&=&0 \end{array}\right.\)

On a alors \(x_2=x_3+2x_4\) et \(x_1=-x_3-x_4\). Donc un vecteur \(\displaystyle{x=\sum_{i=1}^{i=4}x_ie_i}\) appartient au noyau de \(f_{-1}\) si et seulement si il peut s'écrire \(x=x_3(-e_1+e_2+e_3)+x_4(-e_1+2e_2+e_4)\)\(x_3\) et \(x_4\) sont des nombres réels quelconques.

Les vecteurs \(-e_1+e_2+e_3,-e_1+2e_2+e_4\) engendrent le noyau de \(f_{-1}\). Ils ne sont pas colinéaires, donc ils sont linéairement indépendants et définissent une base de \(\textrm{Ker}(f_{-1})\), qui est de dimension \(2\).

Par conséquent l'image de \(f_{-1}\) est de dimension \(2\) :

elle est engendrée par les vecteurs : \(f_{-1}(e_1),f_{-1}(e_2),f_{-1}(e_3),f_{-1}(e_4)\) tels que

\(\begin{array}{rcrcrcrcr}f_{-1}(e_1)&=&&&e_2&-&e_3&+&e_4\\f_{-1}(e_2)&=&e_1&&&&&&e_4\\f_{-1}(e_3)&=&-e_1&+&e_2&-e_3&&\\f_{-1}(e_4)&=&-2e_1&+&e_2&-&e_3&-&e_4\end{array}\)

Il suffit donc de trouver deux vecteurs libres dans cette famille. Par exemple les deux premiers ne sont pas colinéaires, donc ils sont libres et donc définissent une base de l'image de \(f_{-1}\).

On peut donc résumer les résultats trouvés de la manière suivante :

\(\alpha\)

Base de \(\textrm{Ker}(f_\alpha)\)

Base de \(\textrm{Im}(f_\alpha)\)

\(\alpha \notin \{1,-1\}\)

\((-e_1-\alpha e_2+e_3)\)

\((e_2-e_3-\alpha e_4, e_1+e_4, ( \alpha-1)e_1-\alpha e_2+\alpha e_3+ \alpha e_4)\)

\(\alpha=1\)

\((-e_1-e_2+e_3,e_1+e_4)\)

\((e_2-e_3-e_4,e_1+e_4)\)

\(\alpha=-1\)

\((-e_1+e_2+e_3,-e_1+2e_2+e_4)\)

\((e_2-e_3+e_4,e_1+e_4)\)

Question

Pour quelles valeurs de \(\alpha\) (\(\alpha\in \mathbb R\)) a-t-on \(E=\textrm{Im}(f_\alpha) \oplus \textrm{Ker}(f_\alpha)\)?

Aide simple

Commencer par étudier pour quelles valeurs de \(\alpha\) la somme de l'image et du noyau de \(f_\alpha\) est directe puis utiliser un argument de dimension.

Solution détaillée

Si on applique le théorème du rang à \(f_\alpha\), on a la relation \(\dim E=\dim \textrm{Ker}(f_\alpha)+\dim \textrm{Im}(f_\alpha)\). De plus, si l'on démontre que la somme de \(\textrm{Im}(f_\alpha)\) et de \(\textrm{Ker}(f_\alpha)\) est directe, le sous-espace \(\textrm{Im}(f_\alpha)\oplus\textrm{Ker}(f_\alpha)\) aura comme dimension la somme des dimensions de \(\textrm{Im}(f_\alpha)\) et de \(\textrm{Ker}(f_\alpha)\), donc une dimension égale à la dimension de \(E\). Il sera donc égal à \(E\). Ce qui achèvera la démonstration.

Il s'agit donc de chercher pour quelles valeurs de \(\alpha\) la somme de \(\textrm{Im}(f_\alpha)\) et de \(\textrm{Ker}(f_\alpha)\) est directe, ce qui revient à chercher pour quelles valeurs de \(\alpha\) l'intersection de \(\textrm{Im}(f_\alpha)\) et de \(\textrm{Ker}(f_\alpha)\) est réduite au vecteur nul.

On va donc étudier \(\textrm{Im}(f_\alpha)\cap\textrm{Ker}(f_\alpha)\) dans les différents cas.

Premier cas :\(\alpha\notin\{1,-1\}\)

Soit \(x\) un élément de \(\textrm{Im}(f_\alpha)\cap\textrm{Ker}(f_\alpha)\). Compte tenu des résultats trouvés dans la première question, il existe des scalaires \(a, b, c,\) et \(d\) tels que :

\(x=a(-e_1-\alpha e_2+e_3)=b(e_2-e_3-\alpha e_4)+c( e_1+e_4)+ d (( \alpha-1)e_1-\alpha e_2+\alpha e_3+ \alpha e_4)\)

égalité qui équivaut au système suivant :

\(\begin{array}{rcrcrcccll} -a&&&-&c&-&(\alpha-1)d&=&0&L_1 \\ -\alpha a&-&b&&&+&\alpha d&=&0& L_2 \\ a&+&b&&&-&\alpha d&=&0 &L_3 \\ &&\alpha b& -&c&- &\alpha d&=&0&L_4\end{array}\)

On peut remarquer que la somme des équations \(L_2\) et \(L_3\) donne la relation \((1-\alpha)a=0\) qui implique immédiatement puisque \(\alpha\) est différent de \(1\), que \(a\) est nul et donc que \(x\) est nul (ne pas oublier que \(x=a(-e_1-\alpha e_2+e_3)\)).

Donc \(\textrm{Im}(f_\alpha)\cap\textrm{Ker}(f_\alpha)=\{0\}\).

On peut observer qu'il était inutile de poursuivre la résolution du système puisque la seule chose qui nous intéressait était de connaître \(x\).

Deuxième cas : \(\alpha=1\)

On observe sur les résultats de la première question que, dans ce cas, le vecteur \(e_1+e_4\) appartient à la fois au noyau et à l'image de \(f_1\). Leur intersection n'est donc pas réduite au vecteur nul.

Troisième cas : \(\alpha=-1\)

Il n'y a rien d'aussi visible que dans le cas précédent et on procède donc comme dans le premier cas.

Soit \(x\) un élément de \(\textrm{Im}(f_{-1})\cap\textrm{Ker}(f_{-1})\). Compte tenu des résultats trouvés dans la première question, il existe des scalaires \(a, b, c,\) et \(d\) tels que :

\(x=a(-e_1+e_2+e_3)+b(-e_1+2e_2+e_4)=c(e_1+e_4)+d(e_2-e_3+e_4)\)

égalité qui équivaut au système suivant :

\(\left\{\begin{array}{rcrcrcrcl} -a&-&b&-&c&&&=&0 \\ a&+&2b&&&-&d&=&0 \\ a&&&&&+&d&=&0 \\ &&b&-&c&-&d&=&0 \end{array}\right.\)

qui équivaut à

\(\left\{\begin{array}{rcrcrcrcl} -a&-&b&-&c&&&=&0 \\ &&b&-&c&-&d&=&0 \\ &-&b&-&c&+&d&=&0 \\ &&b&-&c&-&d&=&0 \end{array}\right.\)

qui équivaut à

\(\left\{\begin{array}{rcrcrcrcl} -a&-&b&-&c&&&=&0 \\ &&b&-&c&-&d&=&0 \\ &&&-&2c&&&=&0 \\ &&&&&&0&=&0 \end{array}\right.\)

ce qui donne : \(c=0,b=d,a=-d\). Donc \(x=d(e_2-e_3+e_4)\)\(d\) est un réel quelconque.

L'intersection \(\textrm{Im}(f_{-1})\cap\textrm{Ker}(f_{-1})\) n'est pas réduite à \(0\).

Remarque

En fait, on aurait pu voir que : \((-e_1+2e_2+e_4)-(-e_1+e_2+e_3)=(e_2-e_3+e_4)\). Le vecteur qui est à gauche de l'égalité est la différence des deux vecteurs qui définissent la base trouvée pour \(\textrm{Ker}(f_{-1})\), donc appartient à \(\textrm{Ker}(f_{-1})\). Celui qui est à droite est l'un des vecteurs de la base trouvée pour \(\alpha=1\).

Donc \(e_2-e_3+e_4\) est dans l'intersection \(\textrm{Im}(f_{-1})\cap\textrm{Ker}(f_{-1})\) et cela suffit pour justifier que cette intersection n'est pas réduite au vecteur nul.

C'est plus rapide mais il faut avoir une bonne intuition ; la première démonstration a l'avantage d'être plus algorithmique.

En conclusion, \(\textrm{Im}(f_\alpha)\) et de \(\textrm{Ker}(f_\alpha)\) sont supplémentaires si et seulement si le réel \(\alpha\) est différent de \(1\) et de \(-1\).