Inégalité des accroissements finis
Du théorème des accroissements finis sous sa seconde forme on déduit immédiatement l'inégalité des accroissements finis. Celle-ci est plus générale que le théorème des accroissements finis, dans la mesure où elle s'étend à d'autres fonctions que les fonctions numériques de variable réelle, par exemple les fonctions de \(\mathbf R^n\) dans \(\mathbf R\) ou de \(\mathbf R\) dans \(\mathbf C\).
De plus, dans le théorème des accroissements finis, le point \(c\) qui intervient n'est pas connu, tandis que, à partir d'informations générales sur la dérivée on peut tirer des conclusions sur la différence \(f(x_2)-f(x_1)\) pour tout couple \(\left(x_1,x_2\right)\in\mathcal I^2\).
Théorème :
Soit \(f\) une fonction dérivable sur un intervalle \(\mathcal I\). On suppose qu'il existe un réel \(\mathcal M>0\) tel que, pour tout \(\displaystyle{x\in\mathcal I,~\vert f'(x)\vert\leq\mathcal M}\). Alors :
\(\displaystyle{\forall x_1\in\mathcal I,\forall x_2\in\mathcal I\quad\vert f(x_2)-f(x_1)\vert\leq\mathcal M~\vert x_2-x_1\vert}\)
La fonction est alors lipschitzienne de rapport \(\mathcal M\), et dans le cas où \(\mathcal M<1\) elle est contractante. Les applications contractantes, comme nous l'avons déjà vu, ont un rôle très important dans l'étude des suites.
La preuve est une conséquence immédiate du théorème des accroissements finis
Application à l'étude d'une suite
On considère la suite \((u_n)\) définie par la donnée de \(u_0\in[0,1]\) et la relation de récurrence \(\displaystyle{u_{n+1}=\frac{1}{1+u_n^2}}\).
On note \(\phi\) la fonction \(\displaystyle{x\mapsto\frac{1}{1+x^2}}\).
L'étude repose sur :
la mise en évidence d'un point fixe de la fonction \(\phi\)
la propriété de contraction de la fonction \(\phi\) obtenue grâce au théorème des accroissements finis.
Preuve : Mise en évidence d'un point fixe de la fonction
On commence par remarquer que l'intervalle \([0,1]\) est stable par la fonction\( \phi\), on a donc : \(\forall n\in\mathbf N,u_n\in[0,1]\).
Si \((u_n)\) a une limite, ce ne peut être qu'un point fixe \(\mathcal L\) de la fonction \(\phi\) on a alors :
\(\displaystyle{\mathcal L=\frac{1}{1+\mathcal L^2}}\) soit \(\mathcal L^3+\mathcal L-1=0\).
La fonction polynomiale \(g :x\mapsto x^3+x-1\), dont la fonction dérivée est \(g' :x\mapsto3x^2+1\), est strictement monotone. L'équation \(x^3+x-1=0\) admet une seule racine réelle. Les inégalités \(g(0)<0\) et \(g(1)>0\) entraînent alors que cette racine appartient à l'intervalle \(]0 ,1[\).
Preuve : Propriété de contraction de la fonction
L'existence du point fixe établie, la démonstration s'oriente vers une majoration de \(\vert u_n-1\vert\) par une suite géométrique de raison strictement inférieure à \(1\) .
Il s'agit donc d'obtenir une majoration de \(\vert\phi'(x)\vert,x\in[0,1]\).
On a \(\displaystyle{\phi'(x)=\frac{-2x}{(1+x^2)^2}}\), le signe de \(\phi ''\) est celui de \(3x^2-1\).
Ainsi sur\( [0,1],\phi'\leq0\) et admet un minimum, et donc un maximum en valeur absolue sur \([0,1]\), pour \(\displaystyle{x=\frac{1}{\sqrt3}}\).
Ce maximum, qu'on notera \(k\) vaut \(\displaystyle{k=+\frac{3\sqrt3}{8}}\); on a \(k< 1\) , d'où :
\(\displaystyle{\forall x_1\in[0,1],\forall x_2\in[0,1],\quad\vert f(x_2)-f(x_1)\vert\leq k\vert x_2-x_1\vert}\).
On a donc :
\(\displaystyle{\vert u_{n+1}-\mathcal L\vert=\vert\phi(u_n)-\phi(\mathcal L)\vert\leq}k\vert u_n-\mathcal L\vert\) ,
soit, par une récurrence immédiate, la majoration cherchée :
\(\displaystyle{\vert u_{n+1}-\mathcal L\vert\leq k^{n+1}\vert u_0-\mathcal L\vert}\)
qui entraîne la convergence de la suite vers \(\mathcal L\).
Application au prolongement de la dérivée
Ce théorème, outre son intérêt pratique, montre l'utilisation d'un théorème global pour établir une propriété locale.
Théorème :
Soit \(f\) une fonction continue sur un intervalle \([a,b]\), et dérivable sur \(]a,b]\). Si \(f'\) admet une limite \(d\) en \(a\), alors \(f\) est dérivable en \(a\) et \(f'(a)=d\).
Preuve :
On traduit la propriété :\( f'\) a pour limite \(d\) en \(a\) :
\(\displaystyle{\forall\epsilon>0,\exists c\in]a,b[,\forall x\in]a,c[\vert f'(x)-d\vert<\epsilon}\)
La fonction \(f\) étant continue sur \([a,c]\) et dérivable sur \(]a,c[\) on peut appliquer l'inégalité des accroissements finis sur \([a,c]\) à la fonction \(g :x\mapsto f(x)-dx\), on a donc :
\(\displaystyle{\forall x\in]a,c[,\vert f(x)-f(a)-d(x-a)\vert\leq\epsilon(x-a)}\) d'où
\(\displaystyle{\forall\epsilon>0, \exists~c\in]a,b], \forall x\in]a,c[,\left\vert\frac{f(x)-f(a)}{x-a}-d\right\vert<\epsilon}\).
Ainsi \(f\) est dérivable en \(a\) et\( f'(a) = d\).
Applications de l'inégalité des accroissements finis au calcul d'erreur
On cherche à calculer la valeur \(f(x)\) prise par une fonction \(f\) en un point \(x\) connaissant la valeur approchée \(a\) de \(x\) à \(10^{-k}\) près.
En prenant \(f(a)\) comme valeur approchée de \(f(x)\) l'erreur est majorée par \(\mathcal M\vert x-a\vert\).
Ainsi si \(a\) est valeur approchée de \(x\) à \(10^{-2}\) près, pour la fonction sinus on peut prendre \(M = 1\), on a ainsi une majoration uniforme, sin \(a\) est une valeur approchée de \(\sin x\) à \(10^{-2}\).
Théorème du point fixe
Le théorème du point fixe n'est pas du programme de première année mais est un beau et important théorème de mathématiques dont la démonstration peut être considérée comme un exercice intéressant.
On remarque que, plus qu'une application de l'inégalité des accroissements finis, il s'agit de propriétés concernant d'une part les applications contractantes et d'autre part les intervalles fermés bornés ; le choix de démontrer le théorème du point fixe après l'inégalité des accroissements finis est lié au fait que la propriété d'une application d'être contractante est montrée dans presque tous les cas grâce au théorème des accroissements finis. Par ailleurs la démonstration fait intervenir un certain nombre de propriétés, qu'il s'agisse de suites ou de fonctions continues.
Théorème : Théorème du point fixe
Soit \(\mathcal I\) un intervalle fermé et borné et soit \(\emptyset\) une application contractante de \(\mathcal I\) sur \(\mathcal I\). La fonction \(\emptyset\) admet un point fixe unique \(a\) , qui est limite de toute suite \((u_n)\) définie par \(u_0\in\mathcal I\) et \(u_{n+1}=\phi(u_n)\) pour tout entier naturel \(n\).
Preuve :
L'unicité du point fixe est liée au fait que la fonction est contractante.
L'existence du point fixe vient du fait que toute suite définie par \(u_0\in\mathcal I\) et \(u_{n+1}=\phi(u_n)\) est de Cauchy
Preuve :
On suppose que la fonction \(\phi\) vérifie : \(\exists k,0<k<1,\forall x_1\in I,\forall x_2\in I|f(x_2)-f(x_1)|\le k|x_2-x_1|\).
Unicité du point fixe :
Elle est liée à la contraction ; supposons en effet que \(\phi\) admette deux points fixes \(a\) et \(b\) , on a alors : \(|\phi(b)-\phi(a)|=|b-a|\le k|b-a|<|b-a|\) d'où \(|b-a|=0\).
Existence du point fixe :
Idée de la démonstration : on montre que toute suite définie par \(u_0\in I\) et \(u_{n+1}=\phi(u_n)\) est de Cauchy, elle converge donc dans \(\mathbb R\). Soit \(a\) sa limite, on montre alors que \(a\) appartient à \(I\), puis que \(a\) est point fixe.
\((u_n)\) est de Cauchy :
On a : \(|u_{n+1}-u_n|=|\phi(u_n)-\phi(u_{n-1})|\le k|u_n-u_{n-1}|\),
d'où, par récurrence immédiate \(|u_{n+1}-u_n|\le k^n|u_1-u_0|\).
Soit \(p\) un entier strictement positif, on a : \(|u_{n+p}-u_n|\le\displaystyle{\sum_{h=1}^p|u_{n+h}-u_{n+h-1}|\le k^n\sum_{h=0}^{p-1}k^h|u_1-u_0|}\).
D'où : \(|u_{n+p}-u_n|\le\frac{k^n}{1-k}|u_1-u_0|\).
La suite \((u_n)\) est donc une suite de Cauchy, elle est donc convergente. On note \(a\) sa limite.
\(a\) appartient à \(I\) :
on a, en effet, en notant : \(I=[\alpha,\beta] : \forall n\in\mathbf N, \alpha\le u_n\le\beta\), d'où, d'après le théorème de prolongement des inégalités, \(\alpha\le a\le\beta\).
\(a\) est point fixe :
la fonction \(\phi\) étant contractante est continue et la suite \((\phi(u_n))\) est convergente et a pour limite \(\phi(\alpha)\) ; les égalités \(u_{n+1}=\phi(u_n)\) entraînent alors \(a = \phi(a)\).