Théorème d'existence d'une base finie

Un certain nombre d'exemples d'espaces vectoriels ayant des bases vient d'être donné. Mais, à l'occasion des exemples dans la ressource " Ensemble fini de générateurs d'un espace vectoriel ", des exemples d'espaces vectoriels qui n'admettaient pas de partie génératrice finie, et donc à fortiori pas de base finie, ont été donnés (entre autres, l'espace vectoriel \(F( \mathbb R, \mathbb{R})\) des fonctions de \(\mathbb R\) dans \(\mathbb R\)).

Le problème de la détermination d'une condition nécessaire et suffisante d'existence d'une base pour un espace vectoriel est donc tout à fait essentiel. Il est résolu par le théorème suivant :

ThéorèmeThéorème d'existence d'une base

Tout espace vectoriel de type fini (c'est-à-dire admettant une famille finie de générateurs), non réduit à \(\{0\}\), admet une base.

Preuve

Soit \(E\) un espace de type fini. Il s'agit de montrer l'existence d'une partie libre engendrant \(E\).

Soit \(G\) une partie génératrice finie de \(E\). Comme \(E\) est différent de \(\{0\}\) , la partie génératrice \(G\) contient des éléments non nuls. Il existe donc des parties de \(G\) libres (par exemple les singletons \(\{g\}\)\(g\) est un élément non nul de \(G\)).

On considère l'ensemble de toutes les parties libres contenues dans \(G\). Comme \(G\) est finie, toute partie de \(G\) est finie, en particulier les parties libres contenues dans \(G\).

Si \(A\) est une partie finie, on note \(\mathbf{ \mathrm{card}}(A)\) le nombre d'éléments de \(A\). On peut immédiatement remarquer que :

\(A \subset G \Rightarrow \mathrm{card} (A) \le \mathrm{card }(G)\)

Soit \(P\) la partie de \(\mathbb N\) définie de la manière suivante :

\(P = \{ k \in \mathbb N, \exists L \subset G, L \textrm{ libre}, k = \mathrm{card}(L)\}\)

D'après les remarques précédentes, \(P\) est une partie non vide de \(N\), majorée par le nombre d'éléments de \(G\). Donc compte tenu des propriétés de \(N\) (voir complement : Définition de l'ensemble \(\mathbb{N}\)), \(P\) a un plus grand élément, soit \(p\). Il existe donc au moins une partie libre de \(G\) ayant \(p\) éléments, soit \(L_p\).

Alors \(L_p\) est une partie génératrice de \(E\). La justification de cette propriété comporte deux étapes.

ComplémentDéfinition de l'ensemble N

Parmi tous les ensembles, l'ensemble \(\mathbb N\) des entiers est caractérisé par les trois propriétés suivantes :

  1. \(\mathbb N\) est un ensemble ordonné et toute partie non vide de \(\mathbb N\) possède un plus petit élément; en particulier, \(\mathbb N\) contient un plus petit élément, noté \(0\).

  2. \(\mathbb N\) n'a pas de plus grand élément.

  3. Toute partie non vide de \(\mathbb N\) qui est majorée, admet un plus grand élément.

C'est la troisième propriété qui est utilisée dans la démonstration en cours.

Première étape :

Tout élément de \(G\) est combinaison linéaire des éléments de \(L_p\).

En effet, soit \(u\) un élément de \(G\). Si \(u\) est un élément de \(L_p\) , c'est immédiat.

Si \(u\) n'est pas un élément de \(L_p\), \(L_p \cup \{u\}\) est une partie de \(G\) ayant \(p + 1\) éléments donc c'est une partie liée (car\( p = \mathrm{max}(p)\) implique que la partie \(L_p \cup \{u\}\) de \(G\), n'est pas libre).

D'après la proposition vue dans la ressource "Dépendance et indépendance linéaire" \(u\) est combinaison linéaire des éléments de \(L_p\).

ComplémentEnoncé du théorème

Soit \(E\) un \(\mathbf K\textrm{-espace}\) vectoriel et \(\{ v_1, v_2, ... , v_n\}\) une partie libre de \(E\).

Si \(u\) est un vecteur de \(E\) tel que \(\{ v_1, v_2, ... , v_n\}\) soit une partie liée de \(E\), alors \(u\) est combinaison linéaire des vecteurs \(v_1, v_2, ... , v_n\).

Deuxième étape :

\(L_p\) engendre \(E\).

Soit \(\mathrm{Vec} (L_p)\) le sous-espace vectoriel de \(E\) engendré par \(L_p\). D'après la première étape, tout élément de \(G\) appartient à \(\mathrm{Vec}(L_p)\). Donc, comme \(\mathrm{Vec}(L_p)\) est un sous-espace vectoriel, toute combinaison linéaire d'éléments de \(G\) appartient à \(\mathrm{Vec}(L_p)\). Comme \(G\) engendre \(E\), tout élément de \(E\) est combinaison linéaire des éléments de \(G\) et donc appartient à \(\mathrm{Vec}(L_p)\).

Ceci achève la démonstration.

L'ensemble \(L_p\) est donc une partie génératrice de \(E\) libre. Ceci prouve l'existence d'une base de \(E\) :

il suffit de prendre \((v_1, v_2, ... , v_n)\) si \(L_p = \{ v_1, v_2, ... , v_n\}\).

La démonstration précédente n'est pas effective, en ce sens qu'elle ne permet pas de construire pratiquement une base de \(E\).

L'algorithme suivant, dont le point de départ est le même que celui de la démonstration précédente, est par contre effectif et donne un procédé pratique de construction.

Soit \(G\) une partie génératrice finie de \(E\). Comme \(E\) est différent de \(\{0\}\), la partie génératrice \(G\) contient des éléments non nuls.

Il y a des parties de \(G\) libres (par exemple les singletons \(\{g\}\)\(g\) est un élément non nul de \(G\)).

Soit \(L\) l'une d'elle. Deux cas sont possibles :

  • ou bien \(L\) est une partie génératrice de \(E\) et c'est fini puisque c'est une partie génératrice et libre,

  • ou bien \(L\) n'est pas une partie génératrice et il existe au moins un élément de \(G\), soit \(g_1\) qui n'est pas combinaison linéaire des éléments de \(L\).

    Alors la partie \(L_1 = L \cup \{g_1\}\) vérifie les propriétés suivantes :

    \(L_1 \mathrm{libre}\)

    \(L\subsetneq L_1\subset G\)

    On recommence le même raisonnement à partir de \(L_1\).

    • ou bien \(L_1\) est une partie génératrice de \(E\) et c'est fini (partie génératrice et libre),

    • ou bien \(L_1\) n'est pas une partie génératrice et il existe au moins un élément de \(G\), soit \(g_2\), qui n'est pas combinaison linéaire des éléments de \(L_1\).

    Alors la partie \(L_1 = L \cup \{g_2\}\) vérifie les propriétés suivantes :

    \(L_2 \mathrm{libre}\)

    \(L \subsetneq L_1 \subsetneq L_2 \subset G\)

L'algorithme consiste donc à construire une suite, strictement croissante pour l'inclusion, de parties libres contenues dans \(G\), où, si\( L_{r -1 }\) n'engendre pas \(E\), \(L_r\) est obtenue à partir de \(L_{r -1 }\) en lui ajoutant un vecteur \(g_r\) de \(G\) tel que \(L_{r-1} \cup \{g_r\}\) soit libre. Comme la partie \(G\) est finie, d'après la démonstration précédente, le processus s'arrête et il existe un entier \(s\) tel que \(L_s\) engendre \(E\). Alors \(L_s\) sera une partie finie, libre et génératrice, et sera donc une base de \(E\).

A noter que ce qui précède permet d'énoncer la propriété suivante :

ThéorèmeThéorème d'existence de parties libres et génératrices

Soit \(E\) un \(\mathbf K\textrm{-espace}\) vectoriel de type fini, \(G\) une partie génératrice de \(E\) et \(L\) une partie libre incluse dans \(G\).

Alors, il existe une partie \(B\) vérifiant les trois propriétés suivantes :

\(L \subset B \subset G\)

\(B\) est libre

\(B\) engendre \(E\)

Il existe donc une partie déterminant une base de \(E\) contenue dans \(G\) et contenant \(L\).

ExempleExemple d'utilisation de l'algorithme

Soit \(P(\mathbb R)\) l'espace vectoriel sur \(\mathbb R\) des fonctions polynômes réelles et \(E\) le sous-espace de \(P(\mathbb R)\) engendré par les éléments : \(f_1, f_2, f_3, f_4,f_5\) définies par :

\(f_1 : x \mapsto 1 \mathrm{ } \mathrm{ } f_2 : x \mapsto x \mathrm{ } \mathrm{ } f_3 : x \mapsto 1+x \mathrm{ } \mathrm{ } f_4 : x \mapsto 1 + x^3 \mathrm{ } \mathrm{ } f_5 : x \mapsto x - x^3\)

Comme \(f_1\) est non nulle, \(L = \{f_1\}\) est libre. Considérons \(f_2\); comme les éléments \(f_1\) et\( f_2\) sont linéairement indépendants, \(L_1 = \{ f_1, f_2\}\) est une partie libre. Considérons \(f_3\) : ce vecteur est combinaison linéaire des vecteurs\( f_1\) et \(f_2\) cas \(f_3 = f_1 + f_2\) donc \(\{f_1,f_2, f_3\}\) est liée. Considérons alors \(f_4\); un calcul rapide prouve que les vecteurs \(f_1, f_2\) et \(f_4\) sont linéairement indépendants. Alors \(L_3 = {f_1, f_2, f_4}\) est une partie libre. Il ne reste que le vecteur \(f_5\) à considérer. Il s'agit, pour pouvoir conclure, d'étudier la linéaire indépendance des vecteurs \(f_1, f_2, f_4, f_5\).

Or un calcul rapide montre l'égalité \(f_1 + f_2 - f_4 - f_5 = 0\) ce qui prouve que la famille \(\{f_1, f_2, f_4, f_5\}\) est liée. Donc avec les notations de l'algorithme \(s = 3\) et\( L_3 = \{f_1, f_2, f_4\}\) est une base de \(E\).