Introduction
Le paradoxe de Zénon ou " comment la notion d'infini vint aux Grecs "
Dans la seconde moitié du Ve siècle avant J.C. les Grecs commençaient à entrevoir les notions d'infini et de continu opposées à celles de fini et de discret moins abstraites. Le paradoxe du coureur de Zénon illustre leurs difficultés à formuler ces notions qui ne seront correctement définies qu'au... XIXe siècle.
Un coureur part d'un point \(A\) pour arriver à un point \(B\) à une distance \(d\) de \(A\). Avant d'arriver en \(B\), il doit parcourir la distance \(d/2\) et arriver en \(C_1\), milieu de \(AB\), puis en \(C_2\) milieu de \(C_1B\) et ainsi de suite. Conclusion : le coureur n'arrivera jamais en \(B\).
Que faisait Zénon mathématiquement parlant ? Il considérait la somme \(\frac12+\left(\frac12\right)^2+\left(\frac12\right)^3+\ldots+\left(\frac12\right)^n\) qui vaut \(\frac12\left(\frac{1-\frac{1}{2^n}}{1-\frac12}\right)=1-\frac{1}{2^n}\)
Puis il prenait des valeurs de \(n\) de plus en plus grandes. Ainsi la somme comportait de plus en plus de termes, mais la valeur des termes ajoutés, quand \(n\) augmentait, était de plus en plus petite. Le paradoxe tenait en ce que, comme ses contemporains, Zénon ne pouvait concevoir qu'une somme infinie de quantités de plus en plus petites puisse être égale à une grandeur finie. En fait, comme Monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, Zénon considérait mentalement la série géométrique de raison \(1/2\), dont la somme vaut 1. L'expérience lui disait qu'elle vaut 1, mais il ne pouvait le concevoir.
On retrouve souvent dans la vie pratique cette série géométrique de raison \(1/2\), ainsi dans ce problème de gastronomie élémentaire bien connu.
J'achète une tarte
le premier jour je mange la moitié soit 1/2 tarte,
le second jour je mange la moitié de ce qui reste soit (1/2).(1/2)=1/4 tarte,
le troisième jour je mange la moitié de ce qui reste soit (1/2).(1/4)=1/8 tarte.
Au bout de \(n\) jours j'ai donc mangé \(\frac12+\left(\frac12\right)^2+\left(\frac12\right)^3+\ldots+\left(\frac12\right)^n\) tarte, soit
\(\frac12\left(\frac{1-\frac{1}{2^n}}{1-\frac12}\right)=1-\frac{1}{2^n}\) tarte.
Comme dit Woody Allen, l'éternité c'est long surtout à la fin, mais j'aurai alors mangé toute la tarte.
Dans les deux cas, on a donné un sens à une somme d'un nombre infini de nombres :
\(\frac12+\left(\frac12\right)^2+\left(\frac12\right)^3+\ldots+\left(\frac12\right)^n+\ldots=1\).
Problème génaralsation
Le problème général schématisé dans ces deux exemples est le suivant :
peut-on donner un sens à une somme d'un nombre infini de termes ?
C'est l'objet de ce chapitre dans lequel on considère des suites \((u_n)\) dont les termes sont des nombres, réels ou complexes, (suites numériques). Dans les chapitres suivants, nous considérerons des éléments de certains espaces vectoriels, en particulier des espaces de fonctions. Dans tous les cas, on cherche à quelles conditions on peut donner un sens à l'expression \(\displaystyle{\sum_{n=0}^{+\infty}}u_n\). On associe pour cela à la suite \((u_n)\) la suite \((s_n)\)définie par \(s_n=\displaystyle{\sum^n_{k=0}}u_k\); on cherche alors des conditions, en général suffisantes, sur la suite \((u_n)\) pour que la suite \((s_n)\) soit convergente. Lorsque la suite \((s_n)\) est convergente, on peut se demander si les propriétés de commutativité et d'associativité des sommes finies s'étendent à des sommes comportant un nombre infini de termes.
L'étude des séries joue un rôle fondamental en analyse : les séries réelles permettent de construire des nombres comme e qui ne sont ni rationnels ni même algébriques (un nombre algébrique est un nombre qui est racine d'une équation algébrique \(P(x)=0\), où \(P\) est un polynôme à coefficients entiers) et d'en calculer des valeurs approchées. Les séries de fonctions conduisent à définir de nouvelles fonctions. Les séries entières et les séries de Fourier, en particulier, sont à la base d'une partie importante de l'analyse : l'analyse harmonique.